Photographie d'un graffiti

Les notions de « surtourisme » ou « tourisme de masse » semblent faire l’objet d’une actualité sans précédent dans la presse quotidienne.

Qu’il s’agisse d’évoquer les nuisances qui y sont associées dans les centres-villes, les perturbations qui touchent les services de transport urbain ou encore, les difficultés liées au logement pour les habitants, l’intensification du tourisme est aujourd’hui l’objet de tensions, comme en témoignent les différentes manifestations qui ont touché l’Europe au printemps dernier.

Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. La ville de Barcelone fait ainsi figure d’exemple topique en matière de « tourisme de masse ». Entre 1988 et 2014, les statistiques officielles de l’office de tourisme « enregistrent un passage de 2,5 millions à 15 millions de visiteurs internationaux, soit une multiplication par 7 de leur nombre »[1]. Dès 2014 d’ailleurs, des premières manifestations sont organisées, notamment au sein du quartier de la Barceloneta. La ville a fait l’objet, à l’époque, d’importantes transformations liées notamment à l’accueil des Jeux olympiques et paralympiques en 1992, et le nombre de locations saisonnières illégales y est en constante augmentation.

Les raisons permettant d’expliquer l’intensification du tourisme semblent aujourd’hui connues. D’abord, l’apparition des compagnies aériennes low-cost a profondément modifié notre rapport au voyage, en le facilitant et en le démocratisant. Ensuite, l’émergence des plateformes de location de meublés touristiques a également permis de réduire les coûts des voyages. Enfin et plus récemment, les réseaux sociaux tels qu’Instagram et TikTok ont également et évidemment contribué à la concentration des flux touristiques.

À cet égard, les réseaux sociaux centrés sur la photographie ou les vidéos courtes exercent une triple influence. Ils permettent d’abord à quiconque d’exposer ou de révéler un lieu à une communauté. Mais ils ont également favorisé l’émergence d’influenceurs spécialisés dans le domaine du tourisme, contribuant parfois à une convergence et une concentration de visiteurs dans certains endroits devenus particulièrement visibles ou attractifs en ligne. Enfin, l’utilisation des réseaux sociaux par un certain nombre d’entreprises (notamment dans le domaine du textile et de la mode) a grandement contribué à la mise en récit de destinations touristiques et au processus de marketing territorial[2], les choix des lieux représentés étant également associé à une idée de rentabilité[3].

Les marques contribuent ainsi pleinement à cette représentation des lieux touristiques, soit en y organisant des défilés dont les images seront diffusées sur les réseaux sociaux, soit en y réalisant leurs campagnes promotionnels, soit en promouvant directement certaines destinations. La mise en récit des firmes et de leurs produits convoque ici l’imaginaire lié à certains lieux, bien souvent déjà marqués par une intensification du tourisme ou déjà en proie à diverses transformations[4].

Le droit peine aujourd’hui à encadrer ce phénomène, malgré son caractère perturbateur. Plusieurs raisons permettent néanmoins de l’expliquer.

D’abord, il n'existe pas de définition largement acceptée de ce concept au niveau international[5]. La notion de « surtourisme » est relativement récente et surtout, son emploi fait en lui-même l’objet de controverses. Révélatrice pour certains d’une forme de mépris de classe, elle opposerait ainsi tourisme érudit et tourisme populaire, ce dernier étant le seul à être pointé du doigt.

Ensuite, outre des difficultés liées à sa définition, le surtourisme, en tant qu’objet d’étude, est marqué par des difficultés relatives à sa quantification. Comment identifier, évaluer et quantifier ce qui constitue le surtourisme ? L’ONU propose pour l’heure une définition de la charge touristique comme « le nombre maximum de personnes qui peuvent visiter une destination touristique en même temps, sans causer la destruction de l'environnement physique, économique et socioculturel et une diminution inacceptable de la qualité de la satisfaction des visiteurs »[6]. Mais il n’existe pas « d'indicateurs qualitatifs et quantitatifs communément acceptés » et « aucune donnée n'est disponible au niveau international et différentes méthodes de collecte de données coexistent, principalement au niveau local »[7].

Enfin, et c’est ce qui constitue probablement le cœur du problème, le surtourisme implique sous sa forme actuelle une réponse globale du droit, ce qui empêche véritablement de s’en saisir en tant que notion autonome.

Ici, il s’agira de convoquer le droit européen de la gouvernance des données pour imposer aux plateformes de meublés touristiques la mise à disposition des données relatives aux nuitées réservées. Là, il s’agira de faire appel aux pouvoirs de police du maire afin de procéder à l’enlèvement des boîtes à clefs fixées sur le mobilier urbain. Ailleurs, il s’agira d’instaurer des quotas journaliers de fréquentation pour des lieux particulièrement touchés, en application de la nouvelle police administrative introduite par l’article L. 360-1 du code de l’environnement. À d’autres endroits enfin, il faudra convoquer le cadre juridique relatif à l’activité d’influenceurs sur les réseaux sociaux.

Problématique globale nécessitant une réponse globale, le surtourisme soumet les villes et les collectivités à certaines tensions. Surtout, il implique de procéder à certains arbitrages, entre la nécessaire préservation de la qualité de vie des citadins et l’apport financier que représente aujourd’hui l’activité touristique.

En France, en 2024, près de 100 millions de visiteurs internationaux ont été accueillis, générant près de 71 milliards d’euros de recettes. En Ile-de-France, en 2024, ce sont près de 48 millions de touristes qui ont été accueillis. A Marseille, en 2023, ce sont près de 16 millions de nuitées touristiques qui ont été enregistrées, permettant à la commune et au département de récolter plus de 12 millions d’euros de taxe de séjour.

Au vu des retombées économiques pour les villes et les collectivités dans leur ensemble, l’instauration d’une régulation efficace du surtourisme peut sembler paradoxale. Ce dernier semble en tout cas mettre en lumière un certain nombre d’injonctions contradictoires pesant sur les villes et les collectivités, laissant ainsi entrevoir une forme d’autorégulation et de régulation par le marché du secteur.  

La gestion de l’espace public : une approche par la domanialité et les finances publiques locales

Réfléchir à la question du surtourisme implique, par définition, de réfléchir aux rapports que les villes entretiennent avec leur domaine public. C’est lui qui finalement concentre aujourd’hui l’essentiel de l’attention. C’est lui également qui fait l’objet de l’essentiel des revendications liées au surtourisme. Le domaine public municipal, et l’espace public de manière plus générale -bien que la notion ne soit pas totalement fixée[8]-, participe en effet de la mise en récit d’une ville, notamment à travers les différentes conventions d’occupation temporaires qui sont accordées.

L’exemple des tournages de films et séries constitue une bonne illustration de ces problématiques. Nul doute d’ailleurs que les plateformes de streaming légal ont contribué à accentuer le phénomène, les séries à succès telles qu’Emily in Paris permettant de renforcer l’attractivité touristique de certaines villes, tout en troublant parfois l’ordre public. Il semble néanmoins difficile pour les villes de se passer de cette source de revenus étant donné les retombées économiques pour les municipalités. Rien que pour l’année 2021, les retombées issues des tournages étaient, pour la ville de Paris, estimées à plus de deux millions d’euros, un constat similaire devant être dressé pour la ville de Marseille.

L’organisation à Paris de la fashion week illustre également ces enjeux. Le déroulé de défilés dans des lieux prestigieux associés à la capitale devient un enjeu concurrentiel pour les créateurs et donne lieu, là aussi, à la délivrance d’occupations du domaine public soumises à redevance. La superposition des domaines publics de l’Etat et des villes ne contribue d’ailleurs pas à la clarté sur ce point. Un certain nombre de manifestations sont organisées et autorisées en des lieux ne relevant pas des mairies mais qui contribuent pourtant à l’image véhiculée par la ville.

On constate ainsi un « phénomène de diversification des activités sociales qui se déploient dans l’espace public […] »[9], ceux dédiés à la mobilité étant plus que jamais revendiqués pour d’autres types d’utilisation. Les conflits d’usages y sont désormais fréquents et le développement des activités touristiques agit comme un révélateur : l’espace public fait l’objet d’une multitude de revendications, à des fins privatives et économiques (terrasses de cafés et restaurant, défilés, pop-up stores, etc.). Cette « sursaturation de convoitises »[10] semble néanmoins paradoxale lorsqu’elle est appliquée au surtourisme. Elle y contribue directement (par la mise en récit de la ville), tout en s’en nourrissant (par les recettes qu’elle peut en tirer).

Ce paradoxe, s’il concerne en premier chef la question du domaine public, se constate également à propos des locations de meublés touristiques. Si l’on reprend l’exemple de la ville de Marseille, le produit de la taxe de séjour issu des meublés de tourisme s’élève à presque 5 millions d’euros (contre 6 pour les hôtels). Si la ville s’est elle aussi engagée dans une limitation stricte du nombre de nuitées pour les meublés de tourisme, les opportunités économiques semblent telles qu’imposer une véritable régulation de ces activités semble illusoire, au regard notamment des tensions qui pèsent sur les finances publiques locales.

La démarche de contractualisation entre l’Etat et les collectivités, bien qu’abandonnée à partir de 2022, a mis en lumière les difficultés et contraintes financières pesant actuellement sur les collectivités, celles-ci devant contribuer à l’effort de réduction du déficit public et de maîtrise de la dépense publique. Face à la perspective constante d’une baisse des dotations de l’Etat, les opportunités économiques liées au développement du tourisme, sans égard parfois pour son caractère perturbateur, constitue un frein certain à l’instauration d’une régulation organisée et cohérente du phénomène. Gageons à ce propos que l’instauration d’une taxe de cinq euros pour les touristes visitant Venise sans y dormir constitue plus une forme de rattrapage de la taxe de séjour qu’une véritable mesure visant à endiguer la surfréquentation du site.  

Une approche par le marché : l’autorégulation

Les villes semblent aujourd’hui placées dans une situation paradoxale quant au phénomène du surtourisme. Incitées à se rénover et se réinventer[11], elles sont également confrontées à un phénomène de surfréquentation. Si celui-ci est parfois endogène, par les formes de marketing territorial mises en œuvre, il est également parfois le produit de la viralité propre aux réseaux sociaux, difficilement contrôlable a priori.

Face aux difficultés visant à l’instauration d’un cadre juridique harmonisé pour protéger les villes du surtourisme, les pistes envisagées à l’heure actuelle sont surtout celles d’une régulation par le marché, ou d’une autorégulation, par la mise en œuvre de nouvelles applications permettant de mesurer grâce aux GPS la fréquentation touristique de certains sites[12] ou de nouveaux services[13] visant à promouvoir un tourisme vertueux. Les agences de voyage elles-mêmes proposent aujourd’hui des destinations censées permettre d’éviter le phénomène du tourisme de masse.

Cette solution n’emporte pas tout à fait la conviction. Si la responsabilisation des individus constitue bien-sûr une variable importante, elle ne permet qu’une prise en compte partielle du phénomène. Surtout, avec le développement du numérique et la mise en œuvre de dispositifs permettant de rapprocher le citadin de la municipalité (dans le prolongement de mesures liées aux smart cities notamment), le risque semble être celui d’une déresponsabilisation des municipalités. L’exemple de l’application DansMaRue est particulièrement parlant. Elle donne la possibilité à chacun de signaler, via une application, des nuisances qui seraient par exemple liées aux terrasses. Sous couvert d’une forme de solutionnisme technologique appliquée à la gouvernance urbaine, le citadin est associé au contrôle du respect des autorisations d’occupation du domaine public accordées par la Mairie.

En tout état de cause, il semble pour l’heure encore difficile de mesurer les différentes sanctions mises en œuvre, de manière éparses, pour lutter contre le phénomène du surtourisme, notamment en matière de meublés touristiques.

Sur ce point, peut-être que les juges seront amenés à faire preuve de créativité, à l’instar de la sanction prononcée récemment par un tribunal madrilène. Face aux nuisances excessives causées par des touristes dans un immeuble comportant une dizaine d’appartements destinés à la location touristique, les juges ont ordonné la fin des locations touristiques dans l’immeuble ainsi que le dédommagement des requêrants, à hauteur de 37 000 euros. La solution retient particulièrement l’attention, notamment en raison du fondement retenu. Si les locations proposées ne violaient aucune règle, la sanction a été prononcée sur le fondement d’un droit fondamental, le droit au respect de la vie privée et familial des habitants[14].

Notion encore émergente, le surtourisme fait l’objet d’une prise en compte limitée par le droit. Celui-ci tente, par touches successives, de réguler le caractère perturbateur lié à ce phénomène, notamment par un renouveau de la police administrative. Néanmoins, la diversité des normes appelées à y contribuer empêche encore de s’essayer à une quelconque tentative de rationalisation, en l’absence également de cap précis suivi par les villes.

[1] P. Ballester. Surtourisme, aménagement et Spring Break à Barcelone et Marseille, XXe - XXIe siècle. Sous la direction de Françoise Taliano-des Garets. Ports d’Europe - Images et imaginaires, XVIIIe, XXIe siècle, CNRS Editions, pp.333-346, 2022.

[2] S. Biondo, Marketing territorial et patrimonialisation : l’influence de la maison de mode Jacquemus sur la gouvernance du tourisme urbain marseillais, Bulletin de la Société Géographique de Liège, N. 76, 2021, p. 89-101.

[3] Comme l’indique l’autrice : « Le créateur utilise par exemple sa page Instagram pour partager ses sources d’inspiration dont notamment des paysages ou « objets » urbains inhérents à Marseille : l’approche est résolument promotionnelle. En effet, la réflexion, valide tant pour les produits que pour les territoires, est simple et repose sur une logique marchande « If it’s cute on Instagram, it will sell » (Nelson, 2019). Le choix des lieux représentés donc, est extrêmement sélectif et doit être rentable ».

[4] V. notamment : V. Collet, Du taudis au airbnb, Petite histoire des luttes urbaines à Marseille (2018-2023), Agone, 2024, 282 p.

[5] Laurence Jégouzo, « Les conséquences juridiques du surtourisme », JT, 2025, n°286, p.18

[6] ONU Tourisme, « Overtourism? Understanding and Managing Urban Tourism Growth beyond Perceptions », sept. 2018 (en ligne).

[7] Alicia Gomez Alapont, « Droit et surtourisme : une approche internationale », JT, 2025, n°286, p.24.

[8] O. Bui-Xuan [dir.], Droit et espace[s] public[s], Fondation Varenne, 2012.

[9] Jean-Bernard Auby, « L’espace public comme notion émergente du droit administratif », AJDA, 2021, p. 2565.

[10] Ibid.

[11] V. not, J.-B. Le Corf, « «Le récit métropolitain, composante de la communication touristique. Les cas de Marseille et d’Istanbul face au label « capitale européenne de la culture » », in La mise en récit des territoires méditerranéens : langages et objets, dirigé par Natacha Cyrulnik et Vincent Meyer, revue du Gerflint - Synergies mondes méditerranées n° 5/2015, mars 2016, p. 145-161.

[12] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/le-surtourisme-piste-grace-au-gps-des-smartphones_183598

[13] https://www.evaneos.fr/

[14] Juzgado de 1ª Instancia nº 44 de Madrid, Sentencia nº 261/2025, 19/06/2025.

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