Façade d'immeuble recouverte d'affiches publicitaires

Peut-on penser l’espace publicitaire autrement que comme un espace privé ? La publicité est pour l’instant contrôlée comme toute activité privée à laquelle on impose le respect de certaines normes, concernant l’ordre public et la santé publique. Alors que la discussion parlementaire concernant la loi sur le climat a échoué à faire entrer l’environnement dans les normes qui s’imposent aux publicités, ne pourrait-on pas réfléchir à une nouvelle structure de gouvernance de cet espace, dont il faut rappeler qu’il s’agit bien d’un espace public.

Le domaine de la publicité a été relativement préservé par l’intervention de l’État, même s’il a été essentiel dans la transformation de la sphère publique qu’a bien décrite Habermas dans son ouvrage sur la transformation de la sphère publique. Le contrôle de cet espace par l’État a concerné essentiellement le respect de mesures relevant de l’ordre public ou de la santé publique. Il est en outre régulé par une instance d’autorégulation, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, très peu étudiée. Avec la Convention citoyenne pour le climat, des exigences nouvelles visant à aligner le message publicitaire avec le respect de l’environnement sont apparues. De nombreuses ONG se sont d’ailleurs indignées de la façon dont le Parlement avait renoncé aux ambitions initiales des citoyens dans la Convention.

Mais, ne serait-il pas temps, plus fondamentalement, que la société réfléchisse à la gouvernance de la publicité ? Il est au moins deux espaces sur lesquels la société serait légitime juridiquement à intervenir pour modifier profondément le choix des messages publicitaires : sur le domaine public hertzien, c’est-à-dire sur l’ensemble des chaînes de télévision, et sur le domaine public routier. Dans ces deux cas, en effet, l’espace publicitaire correspond à un mode d’occupation privative du domaine public et, dans les deux cas, cette occupation privative confère un pouvoir exorbitant au diffuseur puisque la puissance publique lui confère la clef du fameux « temps de cerveau disponible », c’est-à-dire la valeur de référence dans le monde de la publicité. Ce monopole doit nécessairement s’accompagner de contreparties sociales, ces contreparties ne pouvant consister uniquement dans le respect de l’ordre public. D’autant que l’espace publicitaire, pour les chaînes, influence le contenu même des programmes qui doivent mettre le téléspectateur dans un état d’esprit propice à recevoir la publicité — l’espace publicitaire influence donc la création.

Quel est, pour l’instant, le mode de régulation de l’accès au temps de cerveau disponible ? C’est la capacité financière de l’acheteur. Autrement dit, c’est un mode de régulation profondément inégalitaire qui favorise les acteurs les plus aisés. Il avantage la consommation de masse sur l’ensemble des autres entreprises, qui pourrait proposer d’autres produits, d’autres valeurs. Ce mode de régulation sélectionne donc un certain capitalisme.

Penser l’espace publicitaire comme espace commun requiert donc de penser une nouvelle gouvernance des espaces publicitaires et des temps de cerveau disponible. Pourquoi les chaînes seraient-elles les uniques décideurs du choix des annonceurs ? Faut-il rappeler que les chaînes sont des occupants privatifs du domaine public (hertzien) et qu’elles doivent donc agir dans l’intérêt de la société ? Le domaine public, avec l’objectif de valorisation, qui tend à privilégier l’occupant du domaine qui pourra acquitter la redevance la plus importante, tend aujourd’hui à augmenter les inégalités envers l’exploitation commerciale du domaine public. Ce phénomène permet de comprendre que l’on voit apparaître des entreprises multinationales dans les concessions de plages qui étaient complètement absentes de ce domaine, où l’on ne trouvait que de petites sociétés. La recherche du profit dans l’utilisation du domaine ne peut aboutir qu’à favoriser de gros opérateurs.

Il faut cependant éviter un écueil. Ce n’est pas l’État qui pourrait en être le régulateur. La tradition française d’exploitation politique des médias, toujours aussi présente, devrait suffire à éviter cette solution. Il n’y a qu’à constater le degré de politisation et d’ingérence du politique dans la nomination des présidents de chaîne pour comprendre pourquoi cette option est à éviter. Pourquoi la gouvernance de ces espaces ne serait-elle pas démocratique ? La question serait de garantir une composition de l’organe à même de garantir un alignement de la publicité sur les valeurs de la société. On constaterait peut-être que les Français préféreraient une publicité pour un supermarché coopératif plutôt que pour un supermarché classique. Si les citoyens de la Convention ont opté pour des publicités respectueuses de l’environnement, il est fort probable que cette instance choisirait, elle aussi, des publicités pour des produits vertueux plutôt que pour des produits polluants.

En d’autres termes, la réflexion sur la publicité dans le cadre de la Loi climat devrait, à mon sens, porter une réflexion plus globale sur la récupération de cet espace par le public. On a pensé l’espace publicitaire sur le modèle de la presse, alors même que ces espaces sont des espaces publics. La liberté quasi complète laissée à la publicité relève à mon sens d’un impensé, qui traduit bien la façon dont on a laissé la sphère publique être accaparée par certains intérêts économiques pour la transformer en ce qu’Habermas a appelé un « espace public de manipulation ». L’objectif serait donc de remettre le public au centre de la gouvernance de cet espace.

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