Photographie de crayons de couleur

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Pourriez-vous nous présenter la position du droit italien concernant l’usage privé et commercial des images des biens culturels ?

Dans la législation italienne, on peut identifier trois formes d’utilisation de l’image d’un bien culturel qui n’est pas exposé à la vue du public (c’est-à-dire biens conservés dans des musées et galeries à l’exclusion des biens visibles).

La première est prévue par l’article 108, alinéa 3-bis, du Code des biens culturels et du paysage. Elle autorise l’utilisation libre, dans les cas où l’image du bien culturel est utilisée à des fins d’étude, de recherche, d’expression libre de la pensée, de réutilisation créative ou de promotion de la connaissance du patrimoine, à condition toutefois que cela se fasse sans but lucratif pour l’utilisateur.

La deuxième modalité est prévue par l’article 108, alinéa 3, du même Code. Elle concerne l’absence de redevance pour la reproduction de biens culturels effectuée par des particuliers à usage personnel ou pour des raisons d’étude, ou par des entités publiques ou privées à des fins de valorisation, pour autant que ces activités ne poursuivent pas de finalité lucrative. Il semblerait donc que, en dehors des cas visés au 3-bis, toute utilisation de l’image d’un bien culturel nécessite une autorisation de l’administration qui détient le bien. La dernière phrase de l’alinéa 3 va dans ce sens : « les demandeurs sont toutefois tenus au remboursement des frais engagés par l’administration concédante ».

Une autre confirmation de cela est donnée par l’article 109 du Code, qui prévoit l’existence du régime de l’autorisation, y compris dans le cas où la reproduction vise la constitution d’un fonds ou d’un catalogue d’images ou de vidéos, en imposant la remise à l’administration propriétaire du double original de chaque image ou enregistrement, ainsi que de l’original.

La troisième forme d’utilisation concerne l’autorisation à titre onéreux. Le fondement juridique se trouve également dans l’article 108 du Code, qui prévoit que les organismes détenant le bien culturel dont on veut reproduire l’image à des fins commerciales peuvent demander le paiement d’une redevance. Toutefois, cette possibilité doit être déduite par interprétation, car l’article ne dit pas clairement que l’usage d’un bien culturel à des fins lucratives est soumis à redevance. Cette dynamique doit être lue « en creux », à partir de la définition des usages « libres » (ne nécessitant pas d’autorisation) et « gratuits ».

À ce dispositif s’ajoutent les lignes directrices émanant du ministère de la Culture, qui fixent les critères de calcul des sommes dues pour la reproduction et l’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un bien culturel (décret ministériel MIC du 11 avril 2023, n. 161).

Ce cadre juridique ne semble à première vue pas soulever de véritables problèmes — si ce n’est celui du modèle économique et social que l’on souhaite adopter, plus ou moins ouvert au marché. La jurisprudence a néanmoins innové pour créer la catégorie du « droit à l’image du bien culturel ».

Un cas d’étude révélateur est la décision du Tribunal de Florence du 20 avril 2023, n. 1207, sur l’utilisation par l’éditeur d’un magazine de l’image lenticulaire (technique d’impression qui permet de donner aux images une impression de profondeur) du David de Michel-Ange. Cette utilisation avait eu lieu sans autorisation de la Galerie de l’Académie (et même contre son avis défavorable quant à la technique de reproduction lenticulaire) et, bien entendu, sans paiement de la redevance prévue. Le Ministère demandait l’interdiction de l’usage de l’image, l’indemnisation du préjudice patrimonial résultant de l’usage non autorisé ainsi que du non-paiement de la redevance, et la réparation du préjudice moral.

L’élément le plus remarquable tient au fait que le Tribunal florentin a également accueilli la demande de réparation du préjudice moral, en se fondant précisément sur le droit à l’image du bien culturel. Il s’agit là d’une volonté d’étendre la protection de la propriété, entendue dans sa matérialité, à une protection de type personnaliste du bien, chargé d’une valeur intrinsèque dont la sauvegarde — au même titre que sa dimension matérielle — relève de l’administration à laquelle cette fonction est confiée : essentiellement le ministère de la Culture, ses services déconcentrés, c’est-à-dire les Surintendances, les Musées et les Parcs.

La décision trouve son fondement dans la lecture des articles 107 et 108 du Code des biens culturels, considérés comme une émanation directe de l’article 9 de la Constitution. Cela met en évidence l’intention du législateur de protéger l’aspect immatériel — et non exclusivement patrimonial — lié à la reproduction du bien culturel.

Quelle est votre appréciation quant à l’état du droit italien sur ce sujet ?

Il peut être utile, tout d’abord, de préciser ce que le Code italien des biens culturels entend par « valorisation ». Cette fonction, indissociablement liée à la protection, ne se limite pas à une mise en valeur au sens purement économique, mais désigne plus largement l’ensemble des initiatives, distinctes de la protection, visant à promouvoir la connaissance du patrimoine culturel ou d’un bien en particulier. Ainsi, la valorisation d’un bien culturel passe avant tout par sa jouissance.

Partant de ces prémisses, on peut mieux comprendre les raisons profondes qui ont conduit le Tribunal de Florence à reconnaître un droit à réparation du préjudice moral lié à l’atteinte au droit à l’image du bien. Les deux fonctions — protection et valorisation — poursuivent en effet une même finalité : préserver la mémoire de la communauté nationale et de son territoire (article 1, alinéa 2 du Code des biens culturels). C’est pourquoi, lorsque l’utilisation de l’image ne répond pas aux objectifs de la jouissance publique — laquelle suppose un processus cognitif et d’élévation spirituelle de la personne humaine — les restrictions prévues trouvent leur pleine justification. Dans le cas jugé par le Tribunal de Florence, l’image du David avait été superposée à celle d’un mannequin photographié dans la même pose que la sculpture, et modifiée afin de produire un effet tridimensionnel. Une initiative sans aucun lien avec les finalités de la valorisation.

Cela dit, cette lecture n’épuise pas totalement la complexité du sujet. Dans ce cas précis, deux éléments immatériels se superposent, que la doctrine italienne a mis en évidence depuis longtemps.

Le premier est la dimension de « l’immatériel économique » d’un bien culturel. Cette notion renvoie à la capacité de ce bien à générer de la richesse de façon indirecte, par exemple en renforçant l’attractivité du territoire où se trouve le bien. Cette valeur est profondément enracinée, comme le démontre le Pacte de Famille de 1737, par lequel Anna Maria Luisa de’ Medici a lié ses collections à la ville de Florence : « …pour l’ornement de l’État, l’utilité du public et pour attirer la curiosité des étrangers, rien ne devra être transporté ni retiré de la capitale et de l’État du Grand-Duché ».

Le second renvoie à la valeur intrinsèque qui imprègne chaque bien et qui fonde son caractère culturel. Elle réside dans ce que le bien représente, dans son message, constituant ainsi un corpus mysticum. Comme le rappelle Massimo Severo Giannini dans son écrit « I beni culturali », publié dans la Rivista trimestrale di Diritto Pubblico, en 1976 : « Le bien culturel n’est pas un bien matériel, mais immatériel : le fait d’être un témoignage ayant une valeur civilisationnelle en fait une entité immatérielle, qui est rattachée à une ou plusieurs entités matérielles, mais qui en est juridiquement distincte, dans le sens où celles-ci sont un support physique, mais pas un bien juridique. » C’est à partir de ces prémisses, lentement consolidées, qu’est née l’idée selon laquelle l’administration doit également veiller au décorum du bien culturel, et donc à son image. Le Tribunal de Florence évoque justement cet aspect à la fin de sa décision, en affirmant que « la société défenderesse a gravement porté atteinte à ces intérêts en associant, de manière insidieuse et malveillante, grâce à la technique lenticulaire, l’image du David de Michel-Ange à celle d’un mannequin, dévalorisant, ternissant, avilissant et humiliant ainsi la haute valeur symbolique et identitaire de l’œuvre d’art, qu’elle a asservie à des fins publicitaires de promotion éditoriale ».

Mais la question demeure : est-elle légitime une réglementation qui impose le paiement d’une redevance à ceux qui souhaitent utiliser l’image d’un bien culturel à des fins économiques? Il est difficile d’y apporter une réponse tranchée. En réalité, il faudrait se demander si l’exploitation commerciale de l’image d’un bien culturel peut réellement être justifiée au regard de la liberté d’expression artistique consacrée par la Constitution.

D’un autre point de vue, l’article 9 de la Constitution vise à promouvoir la culture — l’usage à des fins commerciales, donc non culturelles, sort du cadre de cette finalité constitutionnelle — tout en instaurant un équilibre délicat entre liberté et autorité. Le Code intervient alors pour réguler ce rapport, en modulant les règles d’utilisation de l’image du bien culturel (utilisation libre, gratuite ou soumise à redevance), selon la finalité poursuivie, en lien avec la liberté d’initiative économique. Il en résulte que l’utilisation des images de biens culturels à des fins commerciales n’est pas interdite en soi, mais soumise à un contrôle et au versement d’une redevance.

Si ce que nous avons dit sur la dimension intangible d’un bien culturel matériel est vrai, cela vaut également pour les modalités d’utilisation des deux déclinaisons du bien. Ainsi, si, par exemple, l’utilisation temporaire d’un salon dans un palais historique relevant du Ministère donne lieu au paiement d’une redevance lorsqu’elle n’a pas de finalité strictement culturelle, l’usage de l’image d’un bien culturel doit, de manière symétrique, faire l’objet d’un paiement équivalent.

On voit bien des similarités entre l’Italie et la France : le Conseil d’Etat a, en effet, jugé en France, « que la prise de vues d’œuvres relevant des collections d’un musée, à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues, doit être regardée comme une utilisation privative du domaine public mobilier impliquant la nécessité, pour celui qui entend y procéder, d’obtenir une autorisation ainsi que le prévoit l’article L. 2122-1 du même code ». Seulement, la construction théorique de la solution diffère sensiblement avec l’italienne. D’abord, il est frappant de constater que l’on ne trouve pas de considération « métaphysique », tel que vous l’exposez. Le Conseil d’Etat considère seulement qu’il s’agit d’une utilisation privative du domaine public mobilier, qui doit donc donner lieu à autorisation et redevance. En outre, le Conseil d’Etat estime que les demandeurs ne peuvent opposer à l’administration aucun droit : ils n’invoquaient que la liberté du commerce et de l’industrie ici et pas la liberté d’expression artistique. Une autre similitude me semble être la construction de l’opposition entre le monde de l’art et le monde marchand pour justifier une solution qui aboutit à faire du domaine public mobilier culturel une propriété de la personne publique ? En outre, comment justifier la différence entre les biens relevant d’un « droit général au panorama » — la France partage globalement cette conception — et les biens mobiliers des collections ? Enfin, ces constructions ne cachent-elles pas un motif plus sombre : le besoin de financement des musées ?

La décision du Conseil d’État n’aurait pas connu une issue différente en Italie. C’est précisément là le point : l’article L. 2122-1 parle d’usage du bien du domaine public, ce qui inclut également la reproduction à des fins commerciales d’œuvres appartenant à un musée. Il s’agit bien d’une forme d’usage privé d’un bien public, sur lequel intervient un contrôle public.

Il est également vrai que l’administration en charge du bien peut refuser l’exploitation commerciale de son image lorsqu’elle la juge incompatible avec la destination au service public ou si l’activité met en péril le bien. Toutefois, sur ces points, le droit français semble davantage se fonder sur la fonction publique que sur sa dignité (decoro), notion qui fonde la protection en droit italien. Si l’usage privé ne réalise pas cette fonction, la concession ne peut être accordée.

Par ailleurs, le fait qu’un simple renvoi à la liberté d’entreprendre ne puisse être opposé au refus d’une administration d’autoriser l’usage commercial de l’image d’un bien culturel laisse entendre que le Conseil d’État considère également cette liberté comme subordonnée à la protection et à la fonction publique du bien. Donc, le véritable enjeu ne réside pas dans la propriété, mais dans la compatibilité du projet économique avec l’image du bien. Interdire toute forme d’usage commercial relèverait d’une dérive idéologique. L’intervention publique, y compris en France, vise un équilibre entre des intérêts opposés. En Italie, la protection du patrimoine culturel, consacrée par l’article 9 de la Constitution, prévaut sur la liberté d’entreprise (article 41).

Le régime de propriété y est particulier : les biens historiques, bien que privés, appartiennent fonctionnellement à l’État, comme le soutenait Mario Grisolia dans les années 1950, afin d’en garantir l’accès public.

D’ailleurs, des réflexions similaires sur la propriété publique des biens culturels existent également outre-Atlantique, où le gouvernement local détient le droit de décider en matière d’histoire et de monuments situés sur des terrains publics, à condition que les biens concernés véhiculent des valeurs culturelles, comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’affaire Pleasant Grove City, Utah v. Summum, 555 U.S. 460 (2009). La doctrine dite de la « government speech », qui dépasse les limites du Premier Amendement et permet à l’administration de faire retirer un monument selon une logique de pleine disponibilité publique, a été contestée par ceux qui s’opposaient à la suppression des monuments confédérés.

Il a été soutenu que la propriété du monument ne serait pas exclusivement publique, niant ainsi au gouvernement local le droit d’en disposer. Dans Monumental Task Committee, Inc. et al., No. 15-6905 (E.D. La. 24 avril 2017), le tribunal a affirmé que « neither Plaintiffs nor any other individual or organization can acquire a property interest in the Monuments under the Louisiana doctrine of negotiorum gestio ».

Dans les deux cas, l’administration publique exerce un contrôle sur l’usage des biens culturels ou symboliques afin d’en préserver l’identité et le message. Le Code italien des biens culturels définit les conditions d’utilisation de l’image d’un bien, considérée comme partie intégrante de sa dimension culturelle, à préserver dans son identité et sa valeur symbolique.

Avec toutes les nuances nécessaires, puisque, dans le cas américain la suppression des monuments était liée à un conflit entre leur signification et les valeurs que la ville de New Orleans voulait promouvoir, ces exemples montrent bien le rôle déterminant de l’administration publique dans l’organisation de la propriété culturelle.

Il en va autrement pour les biens culturels visibles depuis la voie publique. L’autorisation n’est pas requise, sauf si le bien est protégé par un droit de propriété intellectuelle. Le droit de panorama est reconnu en Italie depuis plus d’un siècle : déjà l’article 16, alinéa 2, du Décret royal n. 363/1913 établissait que les photographies en extérieur de biens visibles étaient libres pour tous.

L’aspect véritablement problématique reste l’exigence de redevance pour les utilisations commerciales. Le paiement peut être écarté à la discrétion de l’entité gestionnaire. C’est le cas du Musée égyptien de Turin, qui autorise gratuitement, même à des fins commerciales, l’usage des images numériques de ses pièces, à condition que la source soit mentionnée.

En outre, lier la redevance à l’usage révèle un modèle économique non seulement discutable, mais peu rentable. La Cour des comptes, dans sa Délibération n. 50/2022/G, souligne : « Les formes de retour économique fondées sur la “vente” d’une seule image paraissent anachroniques et largement dépassées car manifestement antiéconomiques » ; elle ajoute : « dans certains cas, le rapport entre les coûts de gestion du service de perception et les recettes effectivement générées est négatif ».

Même si la redevance paraît dépassée, une question demeure : serait-il admissible d’autoriser tout usage commercial d’une image de bien culturel? Même lorsqu’en est totalement renversé le sens, comme dans le cas d’une entreprise de l’Illinois qui a fait poser encore une fois le (pauvre) David en train de brandir un fusil d’assaut à des fins publicitaires

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