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Dans le contexte italien, la réglementation de l'accès à l'information ou la liberté d'information (« FOIA ») est récente.

Bien que le débat sur la nécessité d’une loi sur ce sujet remonte au milieu des années 80 du siècle dernier, ce n’est qu’avec le décret législatif n. 97 de 2016, en application d’une loi habilitant le gouvernement à procéder à une vaste réforme de l’administration publique, qu’un mécanisme d’accès a été introduit en Italie (non limité à certains sujets avec une légitimité particulière) inspiré de la législation d’origine américaine sur la « freedom of information ». Ce droit d’accès « généralisé » est désormais régi par les art. 5 et 5 bis du « Code de transparence » (décret législatif n° 33 de 2013, tel que modifié par la réforme de 2016).

Ce droit rejoint, sans s’y substituer, le droit d’accès aux documents administratifs prévu, dans une logique de procédure administrative équitable et essentiellement « défensive », par la loi sur la procédure administrative (n. 241 de 1990, art. 22 et suivants). L’art. 22 de la loi 241 contient les définitions du « droit d’accès » et des parties intéressées. Le droit d’accès est défini comme « le droit des parties intéressées de consulter et d’extraire des copies de documents administratifs. Les personnes intéressées comprennent : « tous les sujets privés, y compris ceux ayant des intérêts publics ou diffus, qui ont un intérêt direct, concret et actuel, correspondant à une situation juridiquement protégée et liée au document auquel l’accès est demandé ».

Il complète également, là encore sans s’y substituer, le mécanisme prévu à partir de 2013 dans la loi qui, en imposant de nombreuses obligations aux administrations publiques de publier des informations, des données et des documents par le biais de leur site institutionnel, a reconnu un droit « d’accès civique » comme le droit de toute personne de demander et d’obtenir les documents et les données dont la publication a été omise (art. 5, paragraphe 1, décret législatif n. 33 de 2013). Ce droit complète aussi les règles sectorielles, qui prévoient parfois des formes d’accès très larges : ainsi en particulier dans le domaine de l’environnement avec le décret législatif n. 195 de 2005. Cependant, ce n’est qu’avec la réforme de 2016 qu’est reconnu un droit d’accès qui ne se limite pas à des sujets spécifiques ou qui n’est pas soumis à des appréciations relatives à la situation du demandeur.

L’art. 5 reconnaît désormais un droit d’accès non seulement « civique » (de toute personne, en tant que citoyen), mais aussi « généralisé » (non limité à des documents ou informations spécifiques) : la demande n’a pas à être motivée, l’exercice de ce droit est gratuit (à l’exception des frais de reproduction), et le refus (total ou partiel) doit être motivé et ne peut être intervenir qu’en présence de l’une des limites ou exclusions prévues par l’art. 5 bis du décret législatif no. 33 de 2013.

Plus précisément, l’art. 5 bis règle trois hypothèses. On trouve d’abord les limites liées à la protection des intérêts publics (art. 5 bis, paragraphe 1 : parmi lesquels on retrouve la sécurité nationale, l’ordre public, la défense militaire, etc.) et les limites liées à la protection des intérêts privés (art. 5 bis, paragraphe 2 : cela inclut la protection de la vie privée des personnes et des intérêts économiques et commerciaux des citoyens et des entreprises). Dans ces deux cas, l’accès peut être refusé si « le refus est nécessaire pour éviter un préjudice concret » à ces intérêts. Le paragraphe 3 régit, lui, l’hypothèse dans laquelle, en présence de règles prévoyant le secret d’État et d’autres formes d’interdiction de divulgation, l’accès est « exclu » (« exclusions » ou « limites absolues »). Les deux premiers blocs de limites ont été définis comme « relatifs », car même en présence de ces limites, l’accès est encore possible si cela ne cause pas un « préjudice concret » à l’intérêt relatif.

L’Autorité nationale de lutte contre la corruption (ANAC), à qui la loi confie la mission (en accord avec le Garant de la vie privée) de fournir des indications opérationnelles « aux fins de définir les exclusions et les limites à l’accès civique » (art. 5 bis, paragraphe 6), a précisé dans ses Linee guida le fonctionnement du test à appliquer : l’administration pourra limiter l’accès si elle (a) identifie l’intérêt opposé ; (b) détecte une atteinte à cet intérêt ; (c) est en mesure de faire valoir que le préjudice sera non seulement possible, mais « hautement probable ».

Le modèle italien prévoit donc un système de limites partiellement « élastiques » : bien que certaines similitudes soient évidentes entre les réglementations italienne et européenne, dans le cas italien, le choix a été fait de ne pas prévoir de « test » susceptible de renforcer l’intérêt public à l’information (ce que l’on appelle le « test d’intérêt public », qui est plutôt présent dans le modèle européen et dans divers modèles récents de réglementation FOIA). Le Règlement n° 1049/2001 du 30 mai 2001 concernant l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (article 4, paragraphe 2) dispose ainsi que : “Les institutions refusent l’accès à un document dont la divulgation porterait atteinte à la protection [de certains intérêts publics] à moins qu’il n’y ait un intérêt public supérieur à divulgation”.

Il s’agit d’une réforme importante, également sollicitée et promue par l’initiative d’une série d’associations et de groupes de la société civile (rassemblés sous l’acronyme « Foia4Italy »), reçue avec une grande attention dans le débat public et accueillie avec emphase par la doctrine. Néanmoins, c’est aussi une réforme dont les limites ont été immédiatement pointées, qui a connu une série de problèmes et qui a montré une certaine faiblesse dans son application.

Le premier problème est lié à sa nature de « liberté » (incontestable dans ses motifs, qui ne peut être niée que si l’information demandée tombe dans des limites et des exclusions), ou de droit « fonctionnalisée » (c’est-à-dire ne pouvant être exercée que dans un but précis). La loi reconnaît ce droit « aux fins de promouvoir des formes généralisées de contrôle sur l’exercice des fonctions institutionnelles et l’utilisation des ressources publiques et de promouvoir la participation au débat public » : par conséquent, bien que « toute personne ait le droit d’accéder aux données et documents détenus par les administrations publiques, en plus de ceux soumis à publication », une approche jurisprudentielle s’est formée visant à refuser le droit d’accès lorsque celui-ci est manifestement exercé à des fins « égoïstes » ou lorsque celui-ci est utilisé à des fins non conforme à l’idée de contrôle citoyen ou dont l’effet sur la participation démocratique n’est pas perçue. C’est une approche qui tend à laisser à l’administration un espace d’appréciation des motifs de la demande et de la position du demandeur lui-même qui ne semble pas conforme au modèle FOIA.

Le deuxième problème est lié au rapport avec l’accès aux documents prévu par la loi n. 241 de 1990. C’est une question très complexe qui a plusieurs implications problématiques. La principale est liée à la tendance à interpréter l’accès FOIA comme une forme d’accès « plus faible » que celle prévue par la loi sur la procédure administrative. La conséquence est de considérer que les limites établies par l’art. 24 de la loi 241 de 1990, relative à l’accès aux documents administratifs, toujours applicables (également aux demandes FOIA). Essentiellement, cette approche conduit à intégrer dans le système FOIA non seulement ses propres limites (établies par article 5 bis), mais aussi celles de l’accès aux documents (établi par la loi 241 de 1990).

Le troisième problème a été lié à une tendance à élargir les limites à l’accès. D’une part, une partie de la jurisprudence a étendu la portée des « exclusions » — extension rendue possible en raison de la formulation imparfaite de la disposition — pour inclure des « secteurs entiers » soumis à des règles particulières de transparence, notamment les marchés publics. D’autre part, certaines limites « relatives » ont également été interprétées dans des termes particulièrement larges. L’interprétation de la loi, par les administrations et certaines orientations du juge administratif, est donc allée dans le sens d’un élargissement des limites à l’accès. À cela s’ajoute une tendance largement répandue de l’administration à ne pas répondre ou à répondre tardivement : la loi n’offre pas de réponse adéquate à ces problèmes.

Le quatrième problème est spécifiquement lié à la relation avec la protection des données personnelles. La relation entre transparence et protection des données personnelles est toujours complexe, même s’il est toujours nécessaire de trouver des solutions d’équilibrage, comme l’a précisé la Cour constitutionnelle elle-même. Dans le cas de la FOIA (contrairement à ce qui se passe dans le cas de l’accès aux documents), la relation est biaisée en faveur de la vie privée. Le poids donné à la protection de la vie privée résulte de l’étape de réexamen des demandes d’accès. La première évaluation est faite par le bureau qui détient l’information. Ensuite le réexamen est interne et est confié au responsable de la prévention de la corruption, qui doit obtenir l’avis du Garant de la vie privée (l’autorité indépendante qui assure la protection des données personnelles au niveau national). Or, dans ses avis, le Garant a toujours protégé la vie privée au détriment de la transparence. En substance, ces avis montrent que la vie privée fait toujours l’objet d’un « préjudice concret » chaque fois que des données personnelles font l’objet d’une demande d’accès FOIA, qui doit donc être rejetée.

Le cinquième problème est l’utilisation limitée de ce mécanisme par les citoyens. Les « registres d’accès » (les administrations sont appelées à tenir compte des demandes d’accès et de leur issue, selon les indications formulées par le ministre de l’Administration publique dans sa circulaire) mettent en évidence un nombre de demandes assez faible. D’après les données de suivi réalisées par le ministère de l’Administration publique, concernant tous les ministères et la période 2017-2020, il existe un nombre total de demandes FOIA d’environ 1500 par an (avec un maximum de 1700). Bien qu’il s’agisse d’une réforme récente, force est de constater que ce droit est encore peu connu, certainement peu exercé, et cela peut-être aussi parce qu’il est perçu comme peu effectif par les citoyens.

À côté de ces problèmes, il est aussi possible de percevoir des signes d’un renforcement du mécanisme : en particulier, la jurisprudence récente du Conseil d’État s’est souvent orientée vers une interprétation plus ouverte et favorable de la transparence de trois manières : en clarifiant mieux la relation entre l’accès aux documents de la loi sur la procédure administrative et l’accès FOIA ; en développant une lecture plus restrictive des « exclusions » ; en limitant les tendances à une interprétation de la FOIA non pas comme une liberté (incontestable dans ses raisons), mais comme un droit qui ne peut être exercé qu’à des fins spécifiques d’intérêt public.

D’autre part, dans certaines situations importantes (telles que l’accès aux procès-verbaux des comités scientifiques sous-tendant les décisions limitant les droits des citoyens dans le contexte de l’urgence Covid-19), le droit d’accès civique généralisé a été un outil important qui a permis de faire la lumière sur des questions d’intérêt public. En l’absence de formes adéquates de publicité sur l’utilisation des ressources liées au programme Next Generation EU, c’est encore grâce à la FOIA que certaines organisations non gouvernementales ont pu acquérir des données et des informations pour contrôler la qualité des dépenses publiques.

Globalement, le système italien semble présenter des éléments de faiblesse, mais aussi une intéressante vitalité, qui a besoin d’être consolidée.

La présence d’une pluralité de mécanismes d’accès est considérée comme un problème dans le document qui définit les stratégies de réforme italiennes pour « l’Italie de demain ». Parmi les réformes administratives utiles pour atteindre ses objectifs, le plan « l’Italie de demain » prévoit la simplification (avec réduction à un seul) des formes d’accès à l’information : cependant, cette réforme ne semble pas être actuellement au programme du Gouvernement.

Cette pluralité de formes de transparence devrait plutôt être considérée comme une richesse importante. En fait, l’accès aux documents prévu par la loi sur la procédure administrative est capable d’aller « en profondeur » car elle est en mesure de permettre à l’intéressé de protéger ses droits en consultant des documents spécifiques, et l’accès tend à prévaloir sur les limites, sauf pour les secrets d’État. L’accès civique généralisé (ou FOIA) est, lui, capable d’aller « en extension » en exerçant une fonction de contrôle démocratique. Ce dernier permet un contrôle de l’activité administrative dans l’ensemble des administrations. D’une certaine manière, on peut dire que chaque outil compense les limites de l’autre.

À l’heure actuelle, le débat sur une « mise au point » de la FOIA italienne n’est pas encore mûr. Deux voies de réforme me semblent utiles à explorer. D’une part, il faudrait réfléchir à un test d’intérêt public utile pour donner plus de force aux demandes d’accès formulées par les intérêts collectifs. D’autre part, il faudrait revoir les mécanismes procéduraux et d’exécution, afin de remonter plus souvent à l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (ANAC) ou à une autre « autorité de la transparence ».

Références bibliographiques

Carloni E., Il paradigma trasparenza, Bologna, Il Mulino, 2022.

Gardini G., Magri M. (ed.), Il FOIA italiano: vincitori e vinti, Rimini, Maggioli, 2019.

Mattarella B.G., Savino M. (ed.), L’accesso dei cittadini. Esperienze di informazione amministrativa a confronto, Napoli, Editoriale scientifica, 2018.

Ponti B. (ed.), Nuova trasparenza amministrativa e libertà di accesso alle informazioni, Rimini, Maggioli, 2016.

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