Une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de l’individu peut être causée non seulement par des mesures actives de l’État, telles que des fermetures de magasins ordonnées pendant la pandémie, mais aussi lorsque l’État omet de protéger les valeurs garanties par la Constitution. En s’appuyant sur la jurisprudence actuelle, l’article entend montrer comment il est raisonnable de déduire des droits fondamentaux eux-mêmes un devoir pour l’État de protéger certains biens et valeurs juridiques sur le territoire allemand et même à l’étranger.
Les droits fondamentaux de la Loi fondamentale allemande protègent tous les individus — certaines garanties telles que la liberté professionnelle (article 12 alinéa 1 LF) appartenant uniquement aux citoyens allemands — ainsi que les personnes morales, dans le cas où les droits fondamentaux sont applicables par nature à celles-ci (article 19 alinéa 3 LF). Toute forme de pouvoir public y est directement liée, par conséquent les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (art. 1 alinéa 3 LF). Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle fédérale a traité relativement tôt des différentes dimensions de protection des droits fondamentaux. La décision Lüth (décision du 15 janvier 1958 - 1 BvR 400/51) a été déterminante à cet égard : La Cour précise tout d’abord que les droits fondamentaux protègent en premier lieu la liberté individuelle contre les interventions de l’État ; ils forment en ce sens des droits de défense subjectifs de l’individu contre les mesures étatiques. L’institution du recours constitutionnel (article 93 alinéa 1 n° 4a LF) correspond puisque chaque individu doit pouvoir faire valoir en justice une violation injustifiée de sa liberté par l’État. Une telle compréhension est fondée sur l’histoire de la création de la Constitution : la promulgation de la Loi fondamentale le 23 mai 1949 s’inscrit en réactions face aux terribles expériences du régime national-socialiste. C’est pourquoi la dignité de l’individu a été placée comme valeur suprême à l’article 1 alinéa 1 de la Constitution (note marginale 24 de Lüth). La Cour constitutionnelle fédérale souligne également que les droits fondamentaux constituent un ordre de valeurs objectif qui influence tous les domaines juridiques et que ceux-ci doivent respecter. L’administration, le juge et le Parlement doivent répondre aux impulsions de la fonction objective des droits fondamentaux. Le droit ordinaire doit donc être interprété à la lumière des droits fondamentaux (note marginale 25 de Lüth).
De cette dimension objective, la Cour constitutionnelle fédérale a également déduit relativement tôt ce que l’on appelle le devoir de protection (voir par exemple la décision sur l’interruption de grossesse n° 1, 25.2.1975 - 1 BvF 1/74). L’État ne doit donc pas seulement s’abstenir de porter lui-même des atteintes injustifiées à la liberté des personnes, mais il doit également protéger les droits fondamentaux de ses citoyens contre les atteintes des tiers. Cette mission de protection des droits fondamentaux a récemment été la raison de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale, qui oblige le législateur à élaborer des règles pour une éventuelle situation de triage, donc pour le cas où, à cause d’une surcharge de patients, les soins intensifs nécessaires ne peuvent plus être offerts à chaque patient dans les hôpitaux (décision du 16 décembre 2021 – 1 BvR 1541/20).
Selon les évaluations, les prises de position et les recommandations professionnelles, il existe des indices concrets selon lesquels les personnes handicapées — tout en étant exposées à un risque plus élevé de maladie grave ou létale — sont désavantagées en raison de leur handicap dans une situation de triage. Le degré de danger va donc au-delà de craintes générales et vagues. Cela vaut en particulier dans le contexte où les médecins traitants doivent, dans de tels cas, prendre une décision dans une situation extrême, ce qui peut provoquer involontairement des erreurs d’appréciation au détriment des personnes handicapées (notes marginales 110 ss). Il résulte de l’article 3 alinéa 3 phrase 2 de la loi fondamentale, selon lequel personne ne doit être désavantagé en raison de son handicap, l’obligation pour le législateur de créer des dispositions pour de tels cas et de protéger les personnes handicapées (note marginale 96). Un handicap au sens de cet article est présumé lorsqu’une personne est considérablement entravée à long terme dans sa capacité à mener une vie individuelle et autonome. La cause du handicap ne joue aucun rôle et les personnes souffrant de maladies chroniques sont donc également protégées (note marginale 90).
L’obligation de protection n’est toutefois soumise qu’à un contrôle juridictionnel limité, car le législateur dispose en principe d’une large marge d’appréciation. Dans ce contexte, une violation de l’obligation de protection ne peut être constatée que si le législateur n’a pas du tout agi ou si ses dispositions sont totalement inappropriées. En d’autres termes, l’omission du législateur ne peut être invoquée par le recours aux droits fondamentaux que s’il existait une obligation d’agir (notes marginales 96 ss). Cette ambivalence entre l’invocabilité constitutionnelle et la marge de manœuvre du législateur se traduit aussi concrètement dans la décision par le fait que la Cour constitutionnelle fédérale reconnaît explicitement au législateur une marge d’appréciation pour élaborer la disposition future encadrant la situation de triage, tout en précisant néanmoins certains critères (notes marginales 114 ss, 126 ss). Un critère de sélection admissible serait par exemple la perspective de survivre à la maladie, mais pas la durée de vie attendue à long terme. En outre, il est libre d’émettre des directives sur la procédure, comme le principe du double contrôle par les médecins. Mais il doit en même temps tenir compte du fait que la nouvelle réglementation ne doit pas surcharger les capacités de médecine intensive disponibles. En d’autres termes, il doit continuer à respecter les pratiques médicales comme la prise de décision rapide requise pour des raisons médicales ainsi que la compétence professionnelle en dernier ressort.
L’importance de l’obligation de protection ne joue toutefois pas seulement un rôle dans le domaine national. En effet, cette problématique s’est entre-temps internationalisée. Depuis peu, le tribunal administratif fédéral va jusqu’à reconnaître l’obligation de protection de l’État au titre des droits fondamentaux, même lorsque l’atteinte a lieu à l’étranger (jugement du 25.11.2020 – 6 C 7.19). Ainsi, les États-Unis ont mené des opérations armées au Yémen en utilisant la base aérienne de Ramstein située sur le territoire allemand, ce qui rend imaginable une violation du droit à la vie des citoyens yéménites au sens de l’article 2 alinéa 2 phrase 1 de la loi fondamentale. Une telle hypothèse d’un effet extraterritorial du devoir de protection est également convaincante (voir en détail Fickentscher, Tulane European and Civil Law Forum, Vol. 36, 2021). Tout d’abord, les droits fondamentaux de la loi fondamentale allemande présentent une structure universaliste, comme la Cour constitutionnelle fédérale l’a elle-même récemment et pour la première fois explicitement reconnu dans sa décision relative au service fédéral de renseignement (arrêt du 19 mai 2020 – 1 BvR 2835/17, notes marginales 88 ss). Il serait cependant incompatible avec une telle conception que les droits fondamentaux ne s’appliquent plus en dehors du territoire allemand. Surtout à l’époque de l’internationalisation des relations, cela entraînerait une réduction inacceptable de la protection des droits fondamentaux. Compte tenu du caractère de la loi fondamentale allemande orienté vers la protection de l’individu, expliqué en introduction, il faut considérer que la fonction de protection est vaste et conçue de manière fonctionnelle. En outre, l’obligation de l’État allemand et donc la validité de la protection de la Loi fondamentale allemande ont été subordonnées, dans la décision du Tribunal administratif fédéral, à l’existence d’un lien qualifié avec le territoire allemand, ce qui était le cas en raison de la participation de la base aérienne de Ramstein.