Les demandes de simplification du droit en général, de certains droits en particulier, comme le droit de l’environnement, se succèdent depuis des années. La société française pour le droit de l’environnement (SFDE) avait consacré en 2014 son colloque annuel à ce thème (Les futurs du droit de l'environnement, Simplification, modernisation, régression : la voie étroite, Bruylant, 2016).
Les appels à la simplification mêlent la plupart du temps des choses fort différentes : la simplification des règles de droit, des procédures et de « l’administration » (notamment par la disparition ou la fusion de certains organismes ou de certaines agences) forment le triptyque de base de la requête. On peut pourtant douter qu’il soit de bonne méthode de tout vouloir simplifier en même temps, en mélangeant dans un même texte - comme est en train de le faire le projet de loi de simplification de la vie économique -, simplification des règles substantielles, des règles procédurales et simplifications administratives. C’est qu’en vérité les communicants sont à la manœuvre et qu’ils se préoccupent avant tout du « message », bien plus que de sa traduction concrète. Concentrons-nous sur les seules règles substantielles et raisonnons sur celles qui sont liées à des enjeux environnementaux. Comme il a été rappelé plus haut, les propositions de simplifier ces règles ont fait l’objet de plusieurs rapports, d’analyses savantes et d’engagements réguliers des décideurs politiques. Ce train-train de la simplification, auquel chacun est attentif mais qui n’a jamais bouleversé les (mauvaises) habitudes, connaît aujourd’hui une accélération soudaine provoquée par un ou plusieurs séismes, qui ont bouleversé l’ordre international et dont les ondes déstabilisent à ce point la situation dans de nombreux espaces, qu’abandonnant toute retenue et comme pris de panique, les décideurs se lancent à corps perdu dans des projets de simplification qu’ils annoncent comme devant être rapides, radicaux, irréversibles, et dont ils prédisent qu’ils encourageront les initiatives de chacun dans une société libérée de ces carcans normatifs. Nous y sommes ! A l’échelon européen, la législation omnibus vise à permettre de retrouver la compétitivité des économies européennes dans le contexte d’une guerre commerciale déclenchée par la nouvelle administration des Etats-Unis ; en France, le projet de loi de simplification de la vie économique prétend redonner, lorsqu’il sera voté, de l’oxygène à des entreprises asphyxiées par les normes, les procédures et l’administration.
Et si tout cela appelait un minimum de réflexion ? Et si la mauvaise foi n’était pas absente des larmes versées par certains demandeurs de simplification ? Et si la précipitation dans la simplification était aussi néfaste que la précipitation dans la réglementation, notamment en termes de compétitivité ? Et si la règle de droit pouvait encourager les initiatives et ne pas se contenter d’interdire et de contraindre ? Et si parfois la prétendue imprécision de certaines règles de droit était salutaire en permettant la pesée des intérêts concurrents ? Ces quelques questions ne prétendent pas à l’exhaustivité. Elles visent seulement à poser quelques jalons pour une simplification réfléchie et plus sereine. Les exemples permettant d’illustrer le propos seront tous en relation avec les enjeux environnementaux.
Demandes de simplification et mauvaise foi – La directive sur le devoir de vigilance (CS3D) a été négociée, discutée de longs mois avant d’être finalement adoptée le 24 mai 2024. Le devoir qu’elle consacre était déjà inscrit dans notre droit depuis 2017 et en droit allemand, avec d’autres modalités de mise en œuvre, depuis 2021. La directive sur les obligations de reporting en matière de durabilité (CSRD) est plus ancienne encore puisqu’elle a été adoptée après force débats et négociations le 5 janvier 2023 et elle a été transposée par une ordonnance du 6 décembre 2023, elle-même amplement négociée, et un décret du 30 décembre de la même année. Un rapport Draghi et une élection américaine plus tard, ceux qui avaient participé à ces négociations et discussions et en avaient validé les résultats, sans nécessairement en être satisfaits, découvrent que ces textes exposent les entreprises qu’ils représentent à une perte de compétitivité inacceptable et, la main sur le cœur, déplorent les effets délétères de cette réglementation sur leurs « partenaires », les petites et moyennes entreprises (PME). Comment ne pas être frappé par la mauvaise foi d’un certain nombre de ces porte-paroles qui invoquent aujourd’hui la complexité du cadre légal et la défense des PME afin d’enterrer des législations qu’ils ont eux-mêmes validées ?
Réglementation/Simplification et temporalité - Au motif de l’urgence environnementale, diverses réglementations ont été adoptées fixant des délais de mise en œuvre assez courts, sans toujours mesurer avec précision l’impact de ces décisions sur l’organisation de la production ou sur l’adaptation nécessaire des acteurs à ces nouvelles règles. L’interdiction des véhicules thermiques à l’horizon 2035, l’instauration de zones à faible émission (ZFE) dans un nombre significatif de communes à brefs délais, en sont deux illustrations. La première a rendu obsolètes les équipements et qualifications dans bon nombre d’activités (sous-traitance, entretien, réparation) créant des poches de chômage qui ne pourront être résorbées que progressivement et difficilement (cf. dans l’actualité récente le cas de Valéo, en France). La deuxième se traduit par une mise en application très « simplifiée » - en vérité totalement dégradée (cf. par exemple la mise en œuvre de la ZFE à Nice) -, pour éviter que les populations les plus défavorisées, qui n’ont pas les moyens d’investir dans des véhicules de nouvelles générations ne voient entravée leur liberté de travailler et d’aller et venir. L’adoption de la CSRD déjà évoquée est une autre illustration des interrogations qui peuvent naître devant la volonté de traiter en urgence des questions complexes. Par application du « principe de double matérialité », le texte a conduit nombre d’entreprises à se donner les moyens d’identifier et d’évaluer aussi bien l’impact significatif des enjeux de durabilité sur leurs résultats économiques et financiers, qu’en retour celui de leurs activités sur ces mêmes enjeux, indépendamment cette fois de toute conséquence financière ou économique déjà mesurable. Ces efforts ont mobilisé des équipes et des financements. Pour certifier les informations qui devaient ainsi être communiquées selon un calendrier assez strict, des centaines de commissaires aux comptes ont suivi des formations pour se préparer à ces nouvelles missions. La législation omnibus, en modifiant brutalement les seuils permettant d’identifier les entreprises soumises à ce dispositif, va rendre brutalement caducs une bonne partie de ces efforts et de ces investissements, en dispensant de ces obligations de reporting près de 80% des entreprises qui devaient y être soumises. Dans un sens comme dans l’autre, la précipitation à réglementer puis à « simplifier » ne prend pas en compte la temporalité de l’organisation de la production, comme la temporalité des financements nécessaires à la transition. Ce faisant, elle nuit dans les deux cas à l’objectif affiché et à l’image même de la règle de droit. S’agissant de la compétitivité, dont il est pourtant beaucoup question pour expliquer cette volte-face, c’est la même incapacité à se projeter dans le temps qui peut être relevée. À l’heure où certains États dans le monde paraissent choisir la voie d’une dérégulation débridée, l’Europe aurait sans doute pu, sans se précipiter, profiter de l’occasion pour promouvoir, au contraire, une forme de régulation écologique innovante, prenant directement l’activité économique comme objet, mais laissant aux opérateurs une part d’initiative pour atteindre les objectifs, assez souplement définis, que le système juridique leur fixe. En d’autres termes, elle aurait pu envisager une simplification a minima, qui, bien loin de nuire à la compétitivité des entreprises européennes, est au contraire de nature à la renforcer à moyen terme lorsque, demain, les errements de la dérégulation auront démontré leur nocivité pour le système économique et la société tout entière.
Simplification, règles impératives et règles supplétives – Le droit de l’environnement comporte un grand nombre de règles impératives, souvent relativement complexes dont le non-respect est susceptible d’entraîner des sanctions administratives et/ou pénales. Il comporte également un nombre significatif de règles incitatives, appelant souvent des dispositifs de mise en œuvre très tortueux et très « administratisés » (que l’on songe, par exemple, aux règles incitatives en matière d’énergie). Un inventaire et une évaluation de toutes ces règles et des dispositifs qui les accompagnent est sans doute nécessaire, mais ne peut se réaliser en quelques mois. Il faut veiller, en effet, à conserver ce qui doit l’être, à simplifier ce qui peut l’être, sans a priori idéologique. Mais au-delà, les règles qui, sans contraindre ni inciter, proposent aux citoyens de s’emparer d’outils mis à leur disposition pour participer à l’effort nécessaire, sont exceptionnelles et ne sont pas suffisamment promues politiquement, ni « portées » administrativement. Ainsi, l’obligation réelle environnementale (ORE) est entrée dans notre droit en 2016 et permet aux propriétaires qui le souhaitent de conclure un contrat avec « une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement », en vue de faire naître à leur charge, ainsi qu'à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, des obligations de faire ou de ne pas faire, « dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d'éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques ». La contrepartie à ses engagements est librement négociée : elle peut être financière, consister en une assistance technique ou administrative (préparer des dossiers pour obtenir des subventions, par exemple). La durée du contrat est librement déterminée par les parties dans la limite de 99 ans. En l’absence de toute initiative politique et de tout portage administratif sérieux, cet instrument n’a commencé à être visible qu’à la fin de l’année 2021 et il fallut attendre les années 2023 et 2024 pour qu’il connaisse un véritable développement. Il couvre aujourd’hui, selon les estimations, entre 13 et 17.000 ha. Ce sont plus de 15 millions d’hectares qui sont concernés aux USA par un instrument de même nature, les conservation easements. Ayant accompagné la naissance de cet instrument en droit français, il nous a souvent été fait remarquer – presqu’en forme de reproche - que le texte comporte un article unique de moins de 15 lignes (art. L132-3 du code de l’environnement) et qu’il laisse une grande liberté d’initiative et de création à celles et ceux qui souhaitent le mettre en œuvre. La simplification du droit gagnerait sans doute à proposer davantage de textes supplétifs ouvrant des possibilités, à côté de ceux qui, légitimement, imposent des contraintes.
Simplification du droit et standards juridiques – En parallèle des demandes de simplification, le souhait de règles « précises » est souvent exprimé. Or, face à une réalité complexe, comme l’est notamment la réalité du vivant et des processus qui l’animent, exiger de la précision, c’est demander un surcroît de complexité. Au contraire, faire usage de standards juridiques, c’est permettre à l’administration, sous le contrôle du juge, de faire la pesée des intérêts concurrents et, après quelques années de tâtonnements, c’est permettre aux porteurs de ces intérêts de connaître l’état de la jurisprudence et de se concerter utilement sur chaque dossier. La définition de ce qu’est une « raison impérative d’intérêt public majeur » pour autoriser ou refuser l’examen d’une demande de dérogation aux espèces protégées en est une bonne illustration. Il y aura toujours des situations extrêmement conflictuelles ou des procédures mal articulées entre elles qui conduiront à des blocages (l’exemple récent de l’autoroute A69 est dans tous les esprits). Cela ne doit pas faire oublier que ce standard juridique permet dans la grande majorité des hypothèses de justifier une solution raisonnable. Or, c’est précisément au moment où l’on invoque le besoin de simplification que des décrets sont adoptés pour décider d’en haut que tel ou tel projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (v. par exemple le décret n° 2024 – 708 du 5 juillet 2024). Dans le même esprit, qui permet d’apprécier à sa juste mesure l’effort de simplification en cours, l’article 19 de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables prévoit que les projets d’installations de production d’énergie renouvelable, ainsi que leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie, sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’Etat (c’est le décret 2023-175 du 29 décembre 2023 qui comporte 15 articles !). Ces conditions tiennent compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie ! La simplification pourrait consister à ne pas mettre à bas des concepts qui avaient été construits par l’expérience pour leur substituer de pareilles dispositions qui ajoutent considérablement à la complexité et visent seulement à interdire le débat et la concertation.
Bien d’autres questions mériteraient encore d’être abordées et sans doute débattues. En attendant de poursuivre la réflexion, commençons par refuser l’idéologie de la simplification, la précipitation et le simplisme qui n’ont qu’un très lointain rapport avec une simplification réfléchie et apaisée.