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La réforme administrative fait l’objet d’une politique récurrente depuis de très nombreuses années, notamment dans le cadre de grands programmes transversaux (renouveau du service public, réforme de l’État, révision générale des politiques publiques, modernisation de l’action publique, action publique 2022, transformation et aujourd’hui refondation de l’action publique).

‍La réforme administrative fait l’objet d’une politique récurrente depuis de très nombreuses années, notamment dans le cadre de grands programmes transversaux (renouveau du service public, réforme de l’État, révision générale des politiques publiques, modernisation de l’action publique, action publique 2022, transformation et aujourd’hui refondation de l’action publique). A côté de thèmes comme la modernisation de la gestion publique, la décentralisation et la déconcentration des responsabilités, les politiques d’accueil, la formation des fonctionnaires ou la réduction des effectifs, la simplification administrative en a toujours été une composante, sous la forme de trains de simplifications, de chartes des services publics, de grandes lois visant à l’amélioration du droit et des relations avec les administrés, de plans de dématérialisation de procédures, d’allègement des règles de la commande publique, de suppression d’organismes inutiles… L’annonce de programmes de simplification est toujours populaire, apparemment peu coûteuse et même souvent assortie de promesses d’économies.

Malheureusement, ces actions ont rencontré plusieurs limites :

-Elles sont restées intermittentes : les plans ont généralement été réduits à des effets d’annonce sans suivi organisé.

-Souvent improvisées, les mesures ont rarement été précédés d’une analyse des situations concrètes qui doit naturellement prendre en compte les complexités structurelles inhérentes à une société développée et diversifiée : empilement des organismes publics (la décentralisation apporte de la proximité mais complique la répartition des compétences), confrontation d’intérêts légitimes (par exemple entre protection de l’environnement et  développement des activités industrielles et agricoles), les interactions entre législations (par exemple les seuils d’effectifs ou de chiffre d’affaires qui ont des conséquences fiscales, sociales et comptables pour les entreprises), les impacts imprévus de réglementations, les exigences de personnalisation, d’adaptation, voire de dérogation, des différentes catégories d’usagers.

-Enfin, les mesures interviennent a posteriori, comme s’il fallait compliquer d’abord pour simplifier ensuite.

Elles ne se sont donc pas attaquées à la racine des complications inutiles et n’ont pas empêché la lourdeur et la multiplicité des démarches de s’aggraver globalement, ce qui a engendré le mécontentement justifié de nombreuses catégories d’usagers.

Celui-ci a fini par induire une prise de conscience des pouvoirs publics, parlementaires et gouvernement en accord sur ce point, et la simplification fait l’objet depuis un peu plus d’un an d’un effort de relance qui commence à donner lieu à des initiatives nouvelles : relance du projet de loi sur la simplification de la vie économique, plans de simplification ministériels, dispositif France Simplification et création d’une délégation interministérielle aux simplifications administratives au sein de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), correspondants dans chaque ministère, groupe de travail et assises de la simplification au Sénat, communication au conseil des ministres du 2 avril 2025.

Comment ce plan, présenté par le Gouvernement comme un élément de la « refondation de l’action publique », peut-il échapper à l’échec ou à l’érosion qui ont condamné les programmes précédents ?

Une authentique politique de simplification devrait s’inscrire dans une stratégie continue de réforme. Le Cercle de la Réforme de l’État a ainsi dégagé cinq leviers pour une stratégie volontariste, permanente et globale de simplification[1] : un diagnostic participatif, une organisation dédiée, une nouvelle méthode d’élaboration des textes, un management des organisations publiques tourné vers les usagers, une culture de la confiance impliquant une association des citoyens.

1)-Le diagnostic des charges administratives doit être complet, indépendant mais aussi participatif. Il devrait s’intéresser aux différentes formes de complication ressenties par les divers types d’usagers et ne pas ne se limiter à la lutte contre les excès de la réglementation. L’action peut concerner aussi les formulaires trop compliqués, les formalités redondantes ou inutiles, les procédures trop centralisées, l’insuffisance des politiques d’accueil, les processus de décisions et la répartition des compétences, les délais excessifs, l’accessibilité des services, le langage administratif, le recours au numérique, l’inadaptation des services aux besoins spécifiques de certains publics divers mais nombreux… Cet examen pourrait être complété par une revue des expériences étrangères, notamment du point de vue de la proximité directe entre usagers et services publics.

2)-Une mise en responsabilité à tous niveaux doit être assurée avec une organisation et des responsables identifiés. Cette adaptation de l’organisation administrative commence à se dessiner au sein du ministère chargé de la transformation publique dont le titre officiel comprend, depuis deux gouvernements, la simplification. L’action des équipes de la DITP, actuellement dispersées dans de multiples projets, doit être davantage centrée sur la vie des usagers. Il est heureux que le Premier ministre, dont l’autorité est indispensable au succès des actions de simplification, se soit engagé dans le mouvement de « débureaucratisation » et utilise son autorité pour imposer aux ministres la mission de réduire dans leur secteur les complications pesant sur les usagers.

Une veille à tous niveaux est indispensable. Une mission explicite doit être donnée au Secrétaire général du Gouvernement, aux secrétaires généraux et directeurs des affaires juridiques des ministères de veiller, non plus seulement à la régularité et à la cohérence des textes, mais aussi à la simplicité de leur mise en œuvre et à la prise en compte des attentes des usagers. Les missions et les programmes annuels des inspections générales devraient comprendre l’examen des textes et des pratiques au regard de l’objectif de simplification. Une ou plusieurs institutions, dont des délégations parlementaires, devraient jouer un rôle de vigie indépendante garantes de la réalisation effective des plans de simplification.

3)-Une réflexion partagée et une action déterminée sur les normes doivent commander l’élaboration des textes. Une attitude préventive de simplicité dans l’édiction des normes serait préférable aux tentatives de simplification a posteriori. Une dénonciation générale de la norme conduisant à une déréglementation totale n’est pas souhaitée par la majorité de nos concitoyens. En revanche, un questionnement au cas par cas doit être systématique : une réglementation nouvelle est-elle nécessaire ? Doit-elle tout prévoir ?  Ne faut-il pas réduire la complexité à sa racine en fusionnant les organismes, harmonisant les notions, clarifiant les responsabilités, laissant une marge d’interprétation aux acteurs de terrain, réduisant les régimes d’autorisation préalable, lissant les effets de seuils, développant des guichets uniques capables de traiter les dossiers, imposant des échanges d’information entre services, améliorant les études d’impact pour analyser les conséquences concrètes des mesures sur les différents types d’usagers ?

Un programme pluriannuel de révision des dispositifs existants, comportant un suivi précis et des comptes-rendus réguliers et publics, devrait être organisé et soumis aux commissions parlementaires.

En même temps, quelques sujets complexes à forts enjeux doivent faire l’objet de grands projets pilotés par des équipes dédiées sur le modèle du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Ainsi, l’unification du recouvrement des impôts et des cotisations sociales ou l’attribution à la source des aides sociales, qui font actuellement l’objet d’approches très progressives, pourraient être accélérés.

4)-Le management des organisations publiques doit pleinement intégrer l’objectif de simplicité. Par exemple, les tableaux de bord doivent inclure des indicateurs relatifs à l’impact des formalités sur les usagers.

La formation des fonctionnaires doit contribuer à faire évoluer les relations avec les usagers : par la sensibilisation des fonctionnaires d’encadrement (par exemple dans le tronc commun des écoles de service public mis en œuvre par l’INSP) et par l’écoute des fonctionnaires de terrain, eux-mêmes victimes des complications inutiles.

Des services d’écoute et d’assistance de proximité resteront toujours indispensables. Le programme France Services est une bonne initiative à généraliser, renforcer et valoriser selon les dernières recommandations de la Cour des comptes. Il ne doit pas seulement pallier les fermetures des guichets d’accueil des services publics mais s’attacher à répondre aux besoins des personnes qui ont le plus de difficultés pour accéder aux services publics du fait de l’éloignement ou de leur situation particulière.

La conception des outils numériques, qui peuvent simplifier les formalités d’une majorité d’usagers, doit impérativement prendre en compte l’expérience vécue des utilisateurs et toujours prévoir des modalités d’accès direct aux services pour ceux maîtrisant mal ces outils ou qu’un handicap empêche de les utiliser.

5)-La révision des textes et des procédures, l’adaptation des organisations à l’objectif de simplification ne peuvent réussir que si elles s’appuient sur un contexte de valorisation du service rendu aux publics et s’insèrent dans une culture de la confiance.

Une association des usagers dans leur diversité doit permettre d’imaginer une évolution des services, notamment pour ceux qui en ont le plus besoin. Les agents de terrain, qui ont une connaissance naturelle de la réalité des relations avec les usagers, doivent aussi être impliqués. Une ou des conventions citoyennes pourraient donc utiliser l’expérience directe des citoyens et des agents, associée aux compétences de médiateurs et d’experts en sciences humaines, pour poser des diagnostics, repérer les priorités, concilier les contraintes, inventer et tester des solutions innovantes.

La simplification semble aujourd’hui faire l’unanimité des acteurs publics qui sont en recherche de thèmes consensuels. Il serait bon que ce moment favorable soit mis à profit pour jeter les bases d’une stratégie continue et durable, ce à quoi semblent tendre certaines des premières mesures annoncées. Il ne peut s’agir que d’un programme d’ensemble de réformes, progressif et permanent, qui dépasse la question de la simplification réglementaire, s’étende à la réduction des complexités et ne se limite pas à une dérèglementation qui affaiblirait les services publics mais soit guidé par la recherche d’une amélioration de leur efficacité.

[1] Note du 16 septembre 2024 faisant suite notamment à un séminaire du 21 juin 2024.

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