Les brèves remarques qui suivent entendent proposer quelques éléments de réponse à deux questions croisées. Qu’est-ce que la déréglementation ou plus exactement quelle consistance peut-elle avoir ? Et dans quelle mesure cette déréglementation devrait-elle s’appliquer aux énergies produites à partir de sources renouvelables (ENR) ?
On s’accordera sur l’idée que si la réglementation correspond à l’édiction, par les collectivités publiques (Etat, collectivités infra-étatiques ou supra nationales, à l’image de l’Union européenne), de normes générales et impersonnelles, la déréglementation sera l’allégement ou la suppression d’une réglementation existante dans un secteur (https://dictionnaire.lerobert.com/definition/dereglementation). On s’accordera aussi pour ne pas nuancer ici cette approche par une distinction avec la régulation et la dérégulation, entendues notamment comme d’une part la fonction qui permet aux collectivités publiques d’assurer un équilibre entre impératifs économiques et non économiques dans un secteur et donc, d’autre part, la volonté de laisser le marché fonctionner sans ou avec peu d’interventions publiques, en particulier de normes.
Rapportée au champ des ENR, cette ébauche de définition trouvera une concrétisation très marginale. En effet, il apparaît que les ENR nécessitent une politique publique volontariste qui se traduit par une intervention sur le marché. Cela implique soit un encadrement majeur sur le marché de l’énergie, soit un assouplissement de la réglementation sans toutefois qu’elle ne disparaisse, car il existe trop d’enjeux globaux liés à ce développement. Cette conclusion résulte de deux séries d’observations qui tiennent à la fois aux objectifs de développement des ENR et aux moyens mis en œuvre pour les atteindre. S’il n’est pas nécessairement logique de déduire que l’on ne peut pas dérèglementer de la seule absence de mouvement total de dérèglementation, il est malgré tout raisonnable de penser que la déréglementation ne peut qu’être mesurée dans le secteur des ENR. On s’attachera dans un premier temps à montrer comment la réglementation est indissociable de l’objectif de développement des ENR et dans un second temps comment cette dernière évolue en pratique vers une forme d’assouplissement.
Pourquoi les collectivités publiques doivent-elle développer les ENR ? Il faut d’un côté rappeler que le développement des ENR est justifié par trois types d’enjeux : environnementaux, de sécurité énergétique et d’accessibilité de l’énergie, qui apparaissent aujourd’hui de plus en plus imbriqués. Cela est par exemple souligné dans la dernière directive européenne relative aux ENR (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32023L2413). En réduisant les émissions de gaz à effet de serre, les ENR peuvent contribuer « à relever les défis liés à l’environnement, tels que la perte de biodiversité, et à réduire la pollution » et le « fait que l’énergie renouvelable réduit l’exposition aux chocs de prix par rapport aux combustibles fossiles lui confère un rôle crucial à jouer dans la lutte contre la précarité énergétique » ainsi bien sûr qu’un rôle non négligeable dans l’indépendance énergétique de l’Union et des Etats. Il faut relever d’un autre côté que le développement des ENR paraît difficilement envisageable aujourd’hui sans soutien public pour des questions de coût et au minimum dans le but de créer un cadre favorable à leur développement (voir par exemple la « Contribution de la CRE dans le cadre de la préparation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) » https://www.cre.fr/fileadmin/Documents/Actualites/2025/Contribution_CRE_PPE3.pdf).
Ces éléments ont justifié et justifient une intervention massive des collectivités publiques afin de développer les ENR. Elle s’illustre concernant les différents dispositifs de soutien ou par la mise en place d’un cadre réglementaire permettant de valoriser les ENR. Ainsi, à l’échelle de l’Union européenne, la réglementation a permis l’implantation de plusieurs dispositifs de soutien aux ENR. On pense d’un côté aux « certificats verts »qui ont pu faire l’objet de plusieurs mises en œuvre par exemple en Italie, au Royaume-Uni, au Danemark, en Suède ou en Belgique avec un principe commun : l’existence d’une obligation pour les acteurs économiques de détenir un certain nombre de certificats, impliquant le développement d’un marché où s’effectuent leurs échanges. On évoquera d’un autre côté les tarifs de rachat qui se concrétisent par le paiement d’une somme garantie contre la production d’ENR envoyée dans le réseau. Ces derniers sont souvent associés à des primes qui viennent compléter la rémunération obtenue en vendant l’énergie produite à partir de sources renouvelables sur le marché. Ces dispositifs ont été eux aussi largement mis en œuvre par les Etats, par exemple en Allemagne, en Espagne, en République Tchèque, ou en Grèce.
En parallèle, un cadre réglementaire potentiellement propice au développement des ENR dans le marché de l’énergie a été mis en place. Il peut s’illustrer en trois points topiques. Premièrement, certains Etats ont organisé un accès prioritaire au réseau pour l’énergie produite à partir de sources renouvelables, à l’image de la Belgique, de la Lituanie ou de Malte. Deuxièmement et plus largement, les mécanismes de garanties d’origine viennent informer les clients de la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables contenue dans le bouquet énergétique des fournisseurs. Le dispositif des garanties d’origine a été élargi au-delà de l’électricité par les textes européens. En France, tout « producteur de biogaz qui en fait la demande peut bénéficier de garanties d'origine de biogaz à raison du biogaz qu'il produit en France et qui est injecté dans le réseau de gaz naturel » (code de l’énergie, art. L 446-18). Troisièmement, ces éléments précis sont à replacer dans l’organisation générale des marchés de l’énergie. Il apparaît effectivement que les derniers textes européens visent à organiser globalement le marché des ENR, au-delà de leur « simple » promotion et du domaine de l’électricité. On peut mentionner dans ce sens le règlement et la directive de 2024 établissant des règles communes pour le marché intérieur des gaz naturels et renouvelables et de l'hydrogène (http://data.europa.eu/eli/dir/2024/1788/oj - http://data.europa.eu/eli/reg/2024/1789/oj). Cette observation d’une action règlementaire continue des Etats et de l’Union pour développer les ENR sur plusieurs décennies doit être tempérée sinon par l’abandon d’une partie du cadre esquissé ou du moins par son assouplissement.
Comment les Etats devraient-il continuer à réglementer pour développer les ENR ? C’est à cette question qu’amène l’analyse de l’évolution de l’encadrement par les autorités publiques du développement des ENR. En effet, assez souvent, les dispositifs de soutien évoqués plus haut, comme les certificats verts ou les tarifs de rachats et primes, n’ont pas atteint leurs objectifs, engendrant parfois par exemple des surcompensations préjudiciables aux consommateurs. Dans le même sens, la coexistence de garanties d’origine avec les certificats verts a pu être délicate, tout comme le cumul entre l’émission de ces garanties et l’existence d’un dispositif de soutien (En France, voir le code de l’énergie, art. L311-21).
Ces constatations ont amené les autorités publiques à simplifier voire supprimer des dispositifs de soutien et à revoir l’encadrement juridique du développement des ENR. Cependant, les évolutions n’aboutissent pas à une remise en cause de la production normative consacrée aux ENR. Le soutien économique public reste bien un levier largement mobilisé (voir pour un exemple récent, la Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 6 mars 2025 portant avis sur un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 6 octobre 2021 fixant les conditions de soutien aux installations photovoltaïques sur bâtiment, hangar ou ombrière d'une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts et sur un projet d’arrêté fixant les conditions de soutien aux installations photovoltaïques au sol d’une puissance crête installée inférieure ou égale à un mégawatt, n°2025-69) et surtout la simplification du cadre juridique reste l’objet d’une activité normative tangible. On mentionnera dans ce sens les révisions de la directive relative aux énergies renouvelables qui ont pu aboutir à la mise en place de guichets uniques pour les installations d’ENR ou encore, dernièrement (directive 2023/2413) à faciliter et accélérer l’octroi des permis pour les projets grâce aux zones d’accélération des énergies renouvelables. En France, la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables présente la même logique de « réglementation simplificatrice » (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047294244/).
Le communiqué de presse gouvernemental du 26 septembre 2022 relatif à ce dernier texte illustre bien le mouvement à l’œuvre. Il s’agit de « concilier l’amélioration de l’acceptabilité locale avec l’accélération du déploiement des énergies renouvelables ». Ce projet de loi entend favoriser « le déploiement des énergies renouvelables tout en garantissant la protection de la biodiversité et en minimisant l’artificialisation des sols ». On perçoit, au travers des différents enjeux mis en balance, que le secteur des ENR ne fera pas l’objet d’une déréglementation importante mais bien plutôt d’un assouplissement.
Pour terminer, il est possible d’observer un dépassement de l’approche réglementaire du développement des ENR par les autorités publiques avec la construction de partenariats entre acteurs privés et publics, à l’image des alliances industrielles européennes. On peut citer l’Alliance européenne pour l’hydrogène propre lancée en 2020, l’entreprise commune «Hydrogène propre» ou l’Alliance européenne pour l’industrie photovoltaïque solaire créée en 2022. Si différents réseaux européens participent déjà, dans une certaine mesure, au processus normatif européen (Pour exemple, l’ENTSOG [European Network of Transmission System Operators for Gas] participe à l’élaboration des codes de réseau – règlement 2024/1789, article 70 et suiv.), l’influence sur la réglementation de ce type d’entités reste à déterminer.