Photographie aérienne d'un quatier pavillonaire

Le code de l’urbanisme court après sa simplification et sa lisibilité depuis sa première publication en 1954. Il n’a jamais été entièrement refondu en une seule fois. Le législateur et l’Exécutif ont toujours préféré y toucher par touches, parfois très importantes comme en 2005 et 2007, avec la simplification des autorisations d’urbanisme et en 2015 avec la refonte du livre Ier, parfois moins considérables, mais significatives comme en 2020 lors la clarification de la hiérarchie des documents s’imposant au SCOT et au PLU et le déplacement des dispositions fiscales dans le code général des impôts.

Malgré ces réformes, le droit de l’urbanisme reste complexe et ce pour plusieurs raisons.

La première tient à la décentralisation de sa mise en œuvre. D’un côté, l’Etat a décidé, en 1983, de ne plus monopoliser les décisions en matière d’urbanisme en déléguant la matière aux communes et aux EPCI. De l’autre, il ne s’est jamais totalement résolu à cet abandon de compétences. Il a pour le compenser multiplié les règles d’ordre public s’imposant sur l’ensemble du territoire. A ce titre, on peut citer les lois Montagne et Littoral, mais ce ne sont que les plus emblématiques. Il a aussi sans cesse allongé la liste des plans régionaux ou étatiques s’imposant aux documents d’urbanisme locaux. Cette tension explique bien des complications du droit de l’urbanisme, que l’Etat et les communes voudraient simplifier mais de façon très différente.

La deuxième cause principale de la complexité du droit de l’urbanisme tient à la multiplication, par le législateur, des objectifs énoncés à l’article L. 101-2 que doit « viser à atteindre l’action des collectivités publiques en matière d'urbanisme » : notamment l’équilibre entre les populations résidant dans les zones urbaines et rurales, le renouvellement urbain et l’utilisation économe des espaces naturels ; la qualité urbaine, architecturale et paysagère ; la mixité sociale et fonctionnelle ; l’offre de logements ; la protection de l’environnement ; la lutte contre l’artificialisation des sols ; la lutte contre le changement climatique ; « la promotion du principe de conception universelle pour une société inclusive ».  La traduction de ces objectifs souvent contradictoires peut difficilement se faire sans une accumulation de normes au maniement complexe.

La troisième cause à relever est la volonté des élus locaux de maîtriser ce qui se construit, voire les activités, sur leur territoire. Comme le permis de construire est de droit quand le projet est conforme au PLU et qu’en principe, les propriétaires fixent librement les caractéristiques de leurs projets, les élus font en sorte que ces documents définissent les conditions de constructibilité dans leurs moindres détails. Au règlement, les élus n’hésitent pas à ajouter les orientations d’aménagement et de programmation. Et comme si cela ne suffisait pas, ils ont pris l’habitude d’adopter des chartes souvent dites des promoteurs qui créent, aux dépens des constructeurs, des obligations supplémentaires, sans aucune base légale, par exemple, en matière de tailles des logements, du nombre de pièces, etc. Résultat : dès qu’un projet est d’une certaine ampleur, il a peu de chance de répondre à toutes les contraintes posées par le PLU. Ce ne sont pas seulement les constructeurs qui en pâtissent, ce sont aussi les élus : parfois, ils aimeraient autoriser des projets qui ont l’heur de leur convenir, mais ils ne le peuvent pas à cause des règles qu’ils ont eux-mêmes posées. La solution est alors souvent de faire évoluer le document pour l’adapter aux projets. Non seulement, ces procédures sont lourdes, mais elles génèrent un sentiment d’instabilité juridique.

Quatrième cause de la complexité du droit de l’urbanisme et de la difficulté à le simplifier : le croisement du droit de l’urbanisme avec d’autres législations. Par exemple, celle de la participation du public intimement attachée à l’idée que la ville est l’affaire de tous sachant que le régime de la concertation préalable est devenu un vrai casse-tête. Celui de l’évaluation environnementale n’est pas plus lisible car il n’est pas le même selon que celle-ci porte sur un plan d’urbanisme ou sur un projet de construction. On peut également citer le régime, qui a récemment fait la une des journaux avec la réalisation de l’autoroute A69, de la raison impérative d’intérêt public majeur qui justifie l’atteinte à des espèces protégées quand c’est nécessaire pour des travaux d’aménagement ou de construction. L’enchevêtrement de toutes ces législations avec le droit de l’urbanisme nuit à sa lisibilité. Une solution a été testée : la fusion des autorisations relevant et du code de l’urbanisme et d’autres codes, comme en matière de grandes surfaces commerciales, d’établissement recevant du public ou d’immeubles de grande hauteur. Mais cette solution n’a pas répondu à toutes les espérances.

La dernière cause que nous mentionnerons est, paradoxalement, l’utilité même du permis de construire. Certes, demander une autorisation d’urbanisme est un procédé long et coûteux. Mais une fois obtenue et quand elle a été purgée de tout recours, cette autorisation est source de sécurité. C’est pourquoi le principe même du permis de construire est plébiscité par les maîtres d’ouvrage, leurs banquiers et leurs assurances. Les acteurs de l’immobilier savent que la suppression du permis de construire serait une fausse bonne idée. Certes, ils voudraient en simplifier l’obtention, mais sans savoir comment.

Ces cinq causes principales ne sont pas exhaustives ; on pourrait en trouver d’autres. Mais les lister a une utilité. Cela montre que la simplification du droit de l’urbanisme ne peut pas être simple, qu’elle n’a pas le même sens et qu’elle ne poursuivrait pas les mêmes objectifs pour l’Etat, les communes, les maîtres d’ouvrage et les tiers. Qui plus est, il faudrait aussi s’entendre sur les buts de cette simplification. S’agirait-il de permettre de construire plus vite ? Mais quels types d’ouvrages : les équipements publics, les logements, les bâtiments industriels, les bureaux, etc. ? En maintenant ou en réduisant la protection de l’environnement et la participation du public ? S’agirait-il de permettre aux maires et aux présidents d’EPCI de plus peser sur les projets des constructeurs afin que ceux-ci ne soient réalisés que lorsqu’ils donnent corps au plan d’aménagement et de développement durable de leur PLU ou, au contraire, de libérer les constructeurs de leur emprise ?

Parce que ces choix sont politiquement difficiles ; parce que les pouvoirs publics doivent aussi compter avec les réactions d’acteurs dont nous n’avons pas trop parlé : les voisins des projets, qui sont, d’une part, souvent des propriétaires qui légitimement protègent leur cadre de vie et la valeur de leurs biens et, d’autre part, des électeurs ; parce que le législateur n’assume pas de privilégier un objectif de l’article L. 101-2 au détriment des autres, la simplification du droit de l’urbanisme n’est pas prête de faire l’objet d’une grande loi. C’est pourquoi elle passe par deux autres techniques.

La première, ce sont les limitations du droit au recours juridictionnel des tiers, c’est-à-dire des voisins et des associations de protection de l’environnement. Ce mouvement s’emballe. On se souvient des réformes du contentieux de l’urbanisme de 1994, 2013 et 2018. Celles-ci ont pêle-mêle réduit l’invocation de l’exception des illégalités externes des documents d’urbanisme et l’intérêt à agir des requérants, tenté d’accélérer le cours des procès administratifs et développé les procédures de régularisation. La dissolution de 2024 a empêché qu’une énième loi aggrave les choses. Habituellement, on voit en ces réformes surtout un moyen de protéger les titulaires des autorisations de la contestation des tiers. C’est juste, mais empêcher les recours et/ou éviter les annulations, c’est aussi jeter un voile pudique sur les illégalités qui émaillent les autorisations d’urbanismes, qui, pour certaines, sont dues à la complexité du droit de l’urbanisme. Par exemple, on peut faire semblant de donner au public de plus en plus de droits à la participation puisque les irrégularités en la matière seront neutralisées par le juge. Dit autrement, les réformes du contentieux de l’urbanisme s’enchaînent d’autant plus facilement qu’elles permettent de laisser le droit de l’urbanisme devenir de plus en plus complexe sans que cela ait des conséquences sur les autorisations. C’est toutefois un calcul en partie erroné car, pour les banques sans lesquelles les projets d’ampleur ne peuvent se faire, tant qu’elle n’a pas été régularisée, une autorisation illégale, même si son caractère régularisable est certain, ne vaut pas grand-chose et ne permet pas de débloquer les fonds.

La seconde est une technique qui, paradoxalement, apporte de la complexité à la complexité en vue de compenser l’absence de simplification : la dérogation. Alors que dans les années 70, le législateur avait cherché à en restreindre l’utilisation, depuis les années 2000, il a multiplié les dérogations en droit de l’urbanisme : d’une part, les dérogations pour faire évoluer les PLU afin de les adapter aux projets considérés comme contribuant suffisamment à l’intérêt général, consacrées par les articles L. 300-6 et suivants. Parce que ces procédures sont réservées aux projets d’une grande ampleur et qu’elles ne profitent pas aux projets modestes des particuliers, on aboutit à une opposabilité à géométrie variable des PLU le droit de l’urbanisme devient socialement inégalitaire. Les autorisations d’urbanisme dérogatoires n’embellissent pas le tableau. Certes, celles-ci doivent être justifiées, par exemple, par la lutte contre le réchauffement climatique, l’adaptation des constructions aux handicapés ou la production de logements. Mais ces dérogations dépendent du bon vouloir des autorités administratives car nul n’a le droit à une dérogation. Cela place les constructeurs sous la coupe du pouvoir discrétionnaire des élus. Peu ou prou, on se retrouve dans une situation similaire à celles des constructeurs en Angleterre où l’autorisation d’urbanisme n’est jamais de droit. Tout ceci dénature le PLU : malgré la lourdeur de son élaboration, in fine, il devient de plus en plus un simple guide et de moins en moins un règlement opposable à l’administration. Le succès du régime des dérogations auprès du législateur tient, malgré leur effet pernicieux, au fait que, tout autant que la limitation du droit au recours des tiers, elle constitue un moyen discret et pratique de faire l’économie d’une simplification du droit de l’urbanisme.

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